jeudi 31 mai 2007

Le son du clairon

Je m'emmerde.Pas ce soir spécialement, pas en ce moment non plus, ce n'est pas ce que je veux dire. Je m'emmerde dans ma vie. Je me fais chier. Ca n'a pas toujours été comme ça, mais il faut bien se rendre à l'évidence : ma vie actuelle ne m'intéresse pas. J'en parlais l'autre soir avec un "collègue" du boulot (collègue, ça fait partie des termes que je déteste, avec "le bureau", ça fait très "grande personne" et "affaires sérieuses") et je ne sais pas si ça vient du fait que je bosse "trop" (je mets des guillemets parce que je ne sais pas à partir de quand c'est trop) ou du rythme régulier des jours.

Travail. Bouffer. Dormir.

Travail. Bouffer. Dormir.

Week-end. Un claquement de doigts, errements.

Travail. Bouffer. Dormir.

Travail. Bouffer. Dormir...Vous voyez le bruit des vieux trains à vapeur sur les rails ? Ta-dam ta-dam... Ta-dam ta-dam... Ad infinitum.

J'ai besoin de buts, de jalons. Ca fait maintenant six mois que je n'en ai plus et que je me laisse porter comme sur un radeau. Et ça défile très vite quand on se laisse porter, on voit rien passer. Les jours, waouh. Les semaines, dingue. Les mois même. Et à force de ne me rattacher à rien, je laisse tout partir à vau-l'eau.

Faudrait voir l'état de mon appartement. Faudrait voir où en sont restés les projets qui m'emballaient avant. Faudrait voir ce que je fais de ce temps qui glisse. Ah oui, je crée des sites Internet. Et j'aime bien ça, faut reconnaître. La satisfaction d'un client quand il commence à recevoir des contacts ou quand il m'appelle, limite sonné, parce que sa campagne de pub est en train d'exploser les objectifs de l'année en deux semaines (bon, là même moi je me suis autorisé à un élan de fierté imbécile), c'est une jolie récompense pour le travail fourni.

Mais putain, attendez une seconde. C'est pas ce que je veux faire toute ma vie. Faut se calmer. J'avais répondu à un questionnaire avec Cécilie il y a un moment, et à la question "de quoi avez-vous le plus peur ?" j'avais coché "la banalité". Moi ce que je veux c'est écrire des romans, peindre la lumière, faire des films d'animation, monter un one man show, créer une marque de t-shirts pour imaginer une campagne marketing sur le net et voir ce que ça donne, partir en Bretagne si j'ai envie de partir en Bretagne, vivre une relation crépitante d'étincelles avec ma copine, comme les petits bâtonnets qu'on plante sur les gâteaux d'anniversaire (qui se consument très vite d'ailleurs, mais ne filez ma métaphore trop loin, merci).

Rien qui rapporte des masses d'argent a priori, mais bordel, j'ai tellement d'idées que je pourrais en revendre. Et au lieu de mettre en chantier la moindre d'entre elles, je passe mes soirées à regarder la télé, en me dégageant une place sur le canapé, à côté de la pile des 6 kilos de linge qui me restent à repasser, je surfe mollement sur Internet, la tête appuyée dans la paume d'une main, je joue à World of warcraft et je me dis "merde, déjà minuit", je vois ma copine une fois par mois et demi si la conjonction astrale est favorable, et ces saletés de jours défilent, défilent, défilent, je les sens presque me frôler comme une foule pressée. Ta-dam ta-dam... Ta-dam ta-dam...

Hier j'ai passé la soirée avec des gens que j'apprécie (les mêmes collègues que plus haut). L'un d'eux a tout plaqué il y a presque 2 mois, a lâché son boulot pour s'obliger à sortir de sa léthargie, la même que la mienne, et se mettre à bosser sur un projet perso censé lui apporter autonomie et liberté. Liberté, putain. Je suis ni un romantique ni John Lennon, mais j'admire son geste, même si je trouve ça en même temps totalement inconscient. Aujourd'hui il travaille d'arrache-pied sur son idée et quand il m'en parle, il y a des flammes au fond de ses yeux. De celles qui signifient "je sais que je tiens quelque chose de Grand" (et ça n'a rien à voir mais j'imagine que mon grand-père maternel, qui parlait aux morts et faisait tourner des tables, devait avoir les mêmes quand il avait chuchoté à mon oncle qu'il était sur lepoint de faire une découverte majeure).

Ca m'a aiguillonné. Qu'est-ce que je fous moi ? Rien jusqu'à présent, et c'est comme dans L'écume des jours, les fenêtres se ternissent et les pièces rapetissent. Même les lampes électriques semblent éclairer de moins en moins fort. Il est temps de bouger non ? Se dégager de la gangue de boue noire. Je doute que quiconque ne m'aide, mais je m'en sortirais bien tout seul, qu'est-ce que vous croyez ?

On n'est pas conditionnés après tout. Qui a dit que la vie devait être un rail unique et infini ? Je suis libre ou quoi ? Je suis jeune et libre, à la fin. Bon.

Il y a un peu plus d'un an, je ne savais pas ce que j'allais faire. Quelle direction j'allais prendre. Je sortais de la fac, j'avais des diplômes qui n'avaient rien à voir les uns avec les autres, et après une longue période de flottement, j'ai tout posé à plat et je me suis demandé ce dont j'avais réellement envie. Sans tenir compte du contexte, sans tenir compte des obstacles éventuels ou de la plausabilité ou du temps qu'il faisait.

Faire des sites Internet, ça me brancherait, je me suis dit. Rien à voir ni avec la biologie, ni avec le journalisme, ni avec la communication événementielle (c'était mes diplômes ça). Et sur une impulsion comme il n'a pas dû m'en arriver plus de deux dans toute mon existence, j'ai arrêté de me dire que c'était le bordel et que je m'en sortirais pas, et j'ai fait ce qu'il me semblait falloir faire pour.

Aujourd'hui, je fais des sites Internet, et certains de mes clients sont contents ("merci encore pour votre patience et votre disponibilité, il faut demander à votre patron de vous augmenter" m'a dit l'un d'eux l'autre jour, à la fin d'un rendez-vous, et je vous emmerde, OUI, je suis bien en train de faire de l'auto-congratulation). C'était la première étape. Tu entres dans la vie active. Alors je sais pas, grisé par lerésultat, j'ai dû un peu trop lâcher la bride.

Deuxième étape : la Bretagne, les étincelles, les romans de zombies, la peinture. Time has come, comme ils disent dans les bandes annonces de films d'action américains.

Bouge pas Hopper, j'arrive.

(et là-dessus, vous me mettez Knights of Cydonia de Muse, pour montrer comme c'est beau l'espoir et la volonté, tadam)