jeudi 30 avril 2009

Fade to black

Ils ne comprennent rien, et je me demande comment c'est possible de ne rien comprendre à ce point. Mais non, t'es dépressif, ils disent. En balayant tout ça d'un revers de main. T'as un caractère dépressif, un état d'esprit de dépressif. J'ai même discuté des idées pourries et poisseuses qui m'encombrent la tête avec une ex-dépressive qui se soigne, et qui m'a dit qu'elle avait eu la même façon de voir les choses, avant, mais qu'avec les médicaments t'y penses plus, tu ne les comprends plus.

C'est effrayant. Qu'est-ce que ça signifie alors, l'âme humaine ? Quand tu prends ces trucs, ça modifie ta perception profonde, la façon qu'a ton esprit de tourner. Et on voudrait me faire croire qu'il existe une possibilité de transcendance. Avec quelques comprimés de couleur, tout se reprogramme comme sur un ordinateur, on presse des boutons, on change des dosages et ta soit-disant âme réagit au millimètre. Un patch, un plug-in et c'est mieux.

Et puis t'arrêtes de penser comme ça. T'arrêtes de penser à l'envers.

Putain.

Comme si le fait de voir le monde autour de soi, une fois retirés tous ces filtres d'optimisme, de croyances, d'espoirs absurdes et infondés, de contes, de légendes, de zen et de philosophie, tous ces filtres qui nous brouillent le regard et altèrent notre jugement, comme si le fait de voir le monde nu, réel et solide, cruel dans son absence de logique et de sens, comme si cette vision là, la plus pure et sincère qui soit, était une maladie. Ce n'est pas une maladie, c'est la prise de conscience du néant. Que faire contre ça ? Que faire contre la vérité ?

La maladie, je dis que c'est cette névrose obsessionnelle qui nous pousse à inventer et inventer sans cesse des histoires, à sourire devant l'infini et les étoiles que l'on veut bienveillantes et chargées de sens, à s'étouffer l'esprit d'amour démesuré pour des gens qui mourront ou nous laisseront seul lorsqu'il faudra faire face au vide, à construire frénétiquement ce qui sera détruit, à produire, à graver ce qui sera effacé. Tu vas mourir et tout le monde va mourir, alors fais quelque chose.

Mais il fait froid, et il n'y a rien qui puisse nous sauver car il n'y a rien. Ne traînent ça et là que quelques compagnons de misère, frères et sœurs dans la fatalité, contre qui on trouvera peut-être le réconfort de se blottir quand le désespoir et l'horreur menaceront de nous rendre fous.

S'ils comprennent encore, et ne préfèrent pas s'écarter en nous regardant bizarrement.

samedi 11 avril 2009

Jeez

Vers midi on sonne à ma porte. Je n'attends personne et j'hésite un instant à ouvrir. Et puis je ne sais pas ce qui me passe sous le crâne, je fais rentrer Tara qui grignotait des brins d'herbe dans la cour et je vais voir. Ce sont deux types assez jeunes, bien fringués, typés arabes. Celui de droite est un peu plus balourd que l'autre, moins classe, et d'ailleurs il n'ouvrira pas la bouche une seule fois.

Je comprends tout de suite que ce sont des témoins de Jéhovah et je me demande ce que je vais bien pouvoir leur dire pour ne pas les inviter à entrer discuter de Jésus et de la résurrection avec moi, étant donné que je n'en ai rien à cirer d'une part, et que je ne fais jamais entrer personne chez moi de toutes façons.

Je leur dis bonjour et j'attends. Le plus classe des deux prend la parole mais il bafouille. On dirait qu'il récite un argumentaire commercial appris le matin même, n'en revenant pas que j'y prête l'oreille, se demandant à quel moment est-ce que je vais lui claquer la porte au nez.

Si vous écoutez les gens, ils sont tous très forts dans la gestion des témoins de Jéhovah. Ils savent les mettre mal à l'aise et les pousser dans leurs derniers retranchements. Parce que les gens ils sont trop forts et ils ont carrément trop réfléchi sur la religion, et ils savent bien que Dieu n'existe pas eux, ah ah, et que ces mecs qui frappent à leur porte sont vraiment des cons. Si vous écoutez les gens, chaque fois qu'un couple de témoins de Jéhovah frappe à leur porte, ils leur parlent de l'évolution, du paradoxe du nombril d'Adam, et les achèvent avec un laïus sur tout le mal qui est fait ici bas, que Dieu il pourrait pas laisser faire ça s'il existait en vrai. Les gens, ils gèrent trop leur mère. J'imagine qu'une fois les deux pauvres gars réduits au silence, ils leur referment fièrement la porte dessus et vont passer un coup de fil pour répandre la nouvelle. J'ai parlé du nombril d'Adam à deux abrutis de témoins de Jéhovah, t'aurais vu leur gueule, ça les a bien calmés, ah ah.

Moi je ne crois pas en Dieu, ni en une entité intelligente, ni même en "quelque chose qui existe forcément", je ne crois en rien du tout. Je préfèrerais être persuadé qu'une fois mon corps crevé, raide et boudeur, mon âme médiocre et commune se détache et s'élève je ne sais où, mais j'y arrive pas. On fait comme on peut. Intellectuellement, la spiritualité m'intéresse, mais pas plus. Par contre je n'ai prévu aucun discours anti-Jéhovah, et je n'ai aucune intention de faire le malin avec le nombril d'Adam ou le boulot de Darwin. Pendant que le type me parle (je n'écoute pratiquement rien de ce qu'il dit mais je fais très bien semblant), je cherche quelque chose de définitif.

- Par exemple, bafouille-t-il... Euh, des fois... Quand il se passe... Dans des événements graves, est-ce que vous... Parce que des fois on se dit... Euh... Pensez-vous que certaines choses sont prédestinées ?

- Non.

Je lui réponds en souriant et sans animosité. Il me fait un peu de la peine, à s'embourber dans son argumentaire. Je me demande comment tant de gens peuvent avoir le cœur de tirer sur l'ambulance, j'aurais l'impression de dire "c'est vraiment de la merde" à un enfant qui me montrerait le dessin qu'il vient de faire pour moi.

- Ah ! Et bien justement... C'est ce que... Et bien la Bible... Alors parce que nous en tant que croyants...

Je ne comprends rien à ce qu'il raconte. Ca n'a pas trop de sens, mais je crois qu'il veut me dire que c'est cool parce que la Bible ne croit pas non plus que tout soit prédestiné, quelle coïncidence (je pourrais lui répondre que moi je crois que RIEN n'est prédestiné, ce qui fait quand même une assez grosse différence, et pas seulement sémantique, mais je n'ai pas la force). A un moment il sort un prospectus et l'ouvre à la page "Question des lecteurs" pour me dire que ce petit paragraphe explique bien la position de la Bible. Et que c'est la Bible qui compte pour eux, pas ce que racontent les gens.

Est-ce que ça m'intéresse d'avoir ce prospectus ?

Je lui réponds lamentablement que je n'ai vraiment pas le temps de discuter avec eux plus longtemps (quelle imagination, quel sens de la répartie, à moi Molière et Tchékov !) mais que oui, leur petit machin m'intéresse, là. Au cas où je m'emmerde dans le week-end. C'est le genre de brochure susceptible de me tenir énervé pendant une heure ou deux, et soyons fou, de peut-être générer un post sur mon blog. Je la prends, il a l'air content.

Et puis ils me disent au revoir et prennent congé. Ils n'ont même pas essayé d'entrer, ne m'ont pas demandé si j'étais au courant que Jésus m'aimait (à peine un : "êtes-vous croyant ?" auquel j'ai répondu par un deuxième "non" laconique).

J'ai tenté de lire le fameux paragraphe expliquant que c'est trop cool parce que la Bible est presque d'accord avec moi, mais je n'ai pas pas réussi à le terminer. La bonne volonté, ça dure pas.