mardi 22 juin 2010

La lutte

Si l'univers a un sens, je ne le connais pas, et je ne le connaîtrai sans doute jamais. Je suis intimement convaincu qu'il n'en a aucun et que ma présence n'a pas de signification, que tout naît du hasard, mais à vrai dire c'est peut-être faux.

Ce doute a quelque chose de pervers, car il me chuchote que puisque je ne comprends rien à ce qui m'entoure, la possibilité de transcendance n'est pas nulle. Dans les moments de désespoir, surgit parfois cette petite voix d'enfant qui me susurre de ne pas m'inquiéter. Mais ça ne dure pas longtemps : le réconfort ne résiste pas à la réalité d'un cadavre humain, dents serrées, yeux secs, paupières collées, muscles tendus comme sous l'effort, et pointes des os saillantes sous la peau.

L'univers est répugnant. L'univers n'est pas à ma hauteur, ni à celle d'aucun autre de mes frères. L'univers n'est pas à la hauteur des chats, des grillons et des pins maritimes. L'univers ne devrait même pas être beau, et aucun coucher de soleil ne devrait m'émouvoir, pas plus que le souffle du vent dans les collines. Ce qui m'émeut ce n'est ni la lumière ni les sons, c'est la charge d'humanité que je leur prête, c'est uniquement ce qu'ils m'évoquent : des jeux d'enfants, mon amour des autres, des baisers de filles, mon amour égoïste de moi-même, mon bonheur de vivre. Mais de la beauté dans ce vide noir et glacial, tu plaisantes, ouais.

Ma maison c'est l'humanité, pas l'univers.

Puisque je ne peux avoir aucun sens dans un univers qui ne me prête une conscience que pour me la retirer en prétendant qu'elle n'a aucune valeur, c'est que je dois considérer que mon sens se prend dans l'humanité. Ce que je dis là est trivial, mais en réalité pas évident à assimiler.

Essayez donc d'être digne et fort dans un monde qui ne cesse de vous montrer son indifférence : malgré votre conscience et vos élans de bravoure, vous n'avez pas plus d'importance qu'un caillou. Or ce qui est important, c'est de persister malgré tout dans la lutte entre ma conscience et l'indifférence de l'univers. Lutter contre l'entropie même si la cause semble perdue, car elle ne l'est pas. Je suis une pierre au sein d'un édifice bien plus grand et plus solide que moi. Je suis tout et partie de l'humanité, et je dois considérer que ce qui s'affronte c'est cette humanité splendide et l'univers répugnant. C'est une lutte à mort, que nous ne pouvons pas gagner mais que nous pouvons éviter de perdre. Ma simple existence prend son sens dans une humanité immortelle, progressant et se reproduisant à l'infini, et c'est bien dans cette humanité, dans cet univers sensé, que je peux travailler à ma dignité. Que mon existence peut avoir un sens. L'humanité c'est mon camp. Les rires, les sourires timides, la musique et la danse, les inquiétudes, et la force des bras qui enlacent. Quoi, les étoiles et le désert, à côté de ça ? Allons.

Dans l'humanité, je peux construire. Même si l'univers grignote les corps et tente de récupérer les vieilles pierres, de les refaire siennes grâce au lierre et la poussière, même si les civilisations s'éteignent, ce n'est qu'un aspect de la lutte. L'humanité trébuche et saigne, mais progresse tout de même. J'y reviendrai, mais je note déjà ce qui me semble prendre alors une véritable importance, alors qu'elle n'en a aucune si je considère que je vis au sein de l'univers : il faut tendre vers l'élégance.

Il faut aimer l'homme plus que le monde, car c'est là qu'est notre camp. L'univers, les collines et la mer ne sont pas des amis, c'est le même adversaire immuable et impassible, que tu crois voir te sourire quand il ne fait qu'attendre le moment de te retirer tout ce que tu as.