vendredi 3 juin 2016

Au milieu de rien...

Hier soir, tandis que nous étions sur la scène du cirque d'hiver de Paris, attendant notre entrée, et que l'orchestre jouait la mélodie poignante du troisième mouvement de la neuvième symphonie de Beethoven, je me suis mis à penser à ce que nous faisions là, tous, spectateurs et musiciens, comiques chimpanzés entassés dans un bâtiment rond, écoutant en silence une musique composée voilà deux siècles.

Il y a quelque chose de bouleversant à se souvenir que nous sommes bien des animaux, des singes sortis de cavernes, qui se sont élevés tous seuls à placer leurs doigts sur leurs violons conçus et fabriqués dans la patience des siècles, qui ont découvert tous seuls les lois de l'harmonie et du rythme, pathétiques singes en leurs solennels habits, tous ensemble appliqués à leur tâche inutile et magnifique.

S'il existe plus précieux accomplissement de l'homme que l'art, je ne le connais pas.

Combien de temps a-t-il fallu, combien de batailles, combien de tyrannies et de guerres, combien de travail, combien de passions et de fureur à entraver nos propres mouvements, à les contraindre, à leur donner une forme, quel acharnement, quelle patience pour produire ce miracle du troisième mouvement de la neuvième symphonie de Beethoven ?

Nous qui étions des singes dans des cavernes, et avant ça de minuscules mammifères, eux-mêmes sortis des méduses, du plancton et des bactéries, elles-mêmes nées du sempiternel mouvement de l'univers, assemblant et désassemblant toute chose selon d'immuables lois. Nous qui sommes si peu ; des pas-grand-chose, violents et concupiscents, des agitations quantiques ayant pris chair et conscience, nous qui sommes constitués de la force des tempêtes et du silence des abysses, comment ne pouvons-nous pas ressentir un frisson métaphysique devant le spectacle de cette foule silencieuse, concentrée, plaçant une telle importance dans cet objectif minuscule et insensé : faire entendre dans l'univers glacé le son d'une mélodie d'amour et de consolation.

Toutes ces grâces, cette magie, résonnant sur une minuscule planète de rien, au milieu d'océans infinis. Les mots sont impuissants.



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