mercredi 30 janvier 2013

L'infini et le particulier

Quelques fois, les souvenirs de mon enfance ou de mon adolescence sont si présents et si nets qu'il me paraît impossible que ces périodes ne reviennent jamais. Ou plutôt, qu'elles aient définitivement disparu. Les étés, les cueillettes de cerises dans le pré derrière la maison, les après-midi chez Vincent, Guillaume, Jérémy, les soirs de semaine et les talk-show à la radio, et même une vieille cassette audio avec les Greatest Hits II de Queen. Parfois, tout ceci semble posséder une signification cachée, bien que ce soit ancré dans la banalité la plus triviale, et il m'en vient la certitude que tout recommencera un jour, exactement de la même façon. Une sorte d'intuition proche de l'éternel retour, cher aux anciens Grecs. Tout reviendra, enseignaient-ils, dans le même ordre et à la même place ; il y aura de nouveau un Socrate et un Platon, et ils prononceront les mêmes paroles qu'ils ont déjà prononcées une infinité de fois dans le passé.

La musique ouvre parfois ces portes-là. Pas forcément la grande musique ; même Queen. L'ordre des chansons, la voix de Freddy Mercury, m'obligent à adopter un point de vue plus élevé en me tirant en arrière, et brusquement quelque chose me chuchote : « hé mon vieux, t'as pas encore compris ? La même histoire se répètera de nouveau, et encore une fois, à l'infini. »

Et alors toute argumentation rationnelle est hors-sujet : je sais.

vendredi 25 janvier 2013

Requiem aeternam dona eis

J'aurai l'immense privilège de chanter ce soir, sans doute pour la dernière fois de ma vie, ce que je considère être l'un des trois ou cinq plus grands sommets du patrimoine artistique de l'humanité, la Messa di Requiem de Verdi, à l'église Saint-Augustin. Si on me l'avait annoncé il y a encore 4 ans (avant ma découverte de l'Académie de musique), pour paraphraser une lettre de Brahms : probablement que l'excitation m'aurait rendu fou.

A plusieurs reprises, au cours des quelques mois de répétition, j'ai été tenté d'abandonner et de ne pas la chanter, désespéré d'avoir l'impression que nous rendions médiocre une oeuvre grandiose. Puis les choses se sont affinées. Après trois concerts, nous voici arrivés à la dernière représentation, et nous ne serons donc jamais mieux préparés que ce soir. C'est ce soir qu'il faut se perdre ; c'est ce soir que se trouve ma dernière chance de me laisser engloutir. La dernière possibilité de disparaître un instant, parce qu'on aura pu emprunter une porte vers l'essence même des choses - ce moment rare et réconfortant où l'on n'est plus soi-même, où les limites qui nous séparent du reste du monde tombent.

Il me semble que c'est exactement l'intention derrière les derniers chuchotements de la messe, libera me, délivre-moi ; et que l'illusion de ce que je suis s'éparpille et se dissolve dans l'air.