mercredi 21 septembre 2016

Note rapide sur le libre-arbitre

« Nous ne sommes que nos pensées ; les organes et le corps n'existent que pour les soutenir » : voilà notre cercueil. Et « nos pensées ne sont qu'informations » : voilà le clou qui le referme.

Si je ne décide pas d'une action en pensée, je me crois déterminé : je prétends que ce n'est pas moi qui agis. Si mes organes, mon corps, agissent selon des lois qui ne sont pas celles des pensées mais celles du monde physique, je me crois privé de libre arbitre. C'est pourtant bien mon corps qui agit, mais sous prétexte qu'il n'a pas intégré dans son mouvement cette minuscule sécrétion du cerveau qu'est la pensée consciente, je dis que ce n'était pas moi, et je suis vexé.

Quelle personnalité susceptible et égoïste que ce cerveau « conscient »... Et l'estomac ? N'est-ce pas moi qui digère ? Et les poumons ? N'est-ce pas moi qui inspire, et n'est-ce pas moi qui envoie l'oxygène réveiller mes muscles ? « Non ce n'est pas toi, c'est ton corps » : et voici la trahison révélée.

Le concept de libre-arbitre ne sortirait-il pas d'une erreur d'interprétation de ce qu'est un individu ? Ne viendrait-il pas d'une volonté, non de libérer l'individu, mais plutôt de le restreindre à ce qui en lui est conscient ? Une tentation de le priver de tout ce qui ne passe pas par la pensée consciente, une tentation de dire « tout ceci n'est pas moi, je ne suis ni respiration ni force musculaire ». Et ainsi, en souhaitant être libre, je souhaite aussi qu'il me soit impossible de danser ; car c'est mon corps qui danse, et qui rejette la conscience de côté.

Vouloir le libre-arbitre, s'y accrocher fermement, n'est-ce pas refuser la vie pleine ?


Avec mes joies, avec mes peines, j'ai mâché des quignons de ma terre; et maintenant, la ligne où se fait le juste départ, la ligne au-delà de laquelle je cesse d'être moi pour devenir houle ondulée des collines, la ligne est cachée sous la frondaison de mes veines et de mes artères, dans les branchages de mes muscles, dans l'herbe de mon sang, dans ce grand sang vert qui bout sous la toison des olivaies et sous le poil de ma poitrine.

Jean Giono - Manosque-des-plateaux

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire