dimanche 12 juillet 2009

Au milieu du troupeau

Il faut que je m'excuse par avance des propos que je vais tenir, dignes de ces mongolitos d'altermondialistes à écharpes, des écolos les plus neuneus, ou bien de tous ces schtroumpfs à lunettes moralisateurs, resortant les poncifs du JT avec un regard grave pour faire cultivé. Au moins, c'est dit.

J'ai tendance à m'autoflageller en permanence. Ca serait de l'égocentrisme avancé que ça m'étonnerait pas. Le genre qui se croit tellement important que si quelque chose foire, c'est sûrement de sa faute. Vous savez bien. Il n'y a guère que sur ces problématiques barbantes de réchauffement climatique et de société consommation aliénante que je ne me considère pas comme coupable. De rien du tout. Chier, tiens. On dira que je n'ai pas la notion des priorités, d'accord : pour me repentir parce que Machine fait la gueule ce matin, et que je suis persuadé que ça vient de la blague que je lui ai faite il y a trois mois, je suis très fort. Par contre, pour éteindre la lumière chez moi pendant cinq minutes, et aider ainsi notre pauvre planète à reprendre son souffle, y'a plus personne. Certes. Mais c'est pas la question.

J'ai en horreur la culpabilisation de masse, et la tronche de tous ces petits branlos débraillés de 18 ans qui te réclament la liberté en hurlant, dans un pays où il est extrêmement bien vu de médire de son président chaque jour. C'est essentiellement pour cela que je n'ai jamais pu prendre au sérieux le délire fantatique des altermondialistes, et encore moins y adhérer. Ils me font chier à répéter que c'est moi le méchant, et que Jésus-l'équitable viendra sauver mon âme si je cesse de consommer chinois.

Ca n'empêche pas une chose. Pour rire (et il faut bien le reconnaître, parce que c'est carrément pas loin d'être vrai), j'aime bien me prétendre cible idéale du marketing de masse. Sauf que cet après-midi...

A quelques minutes de bus de chez moi, il y a ce qu'ils appellent un "Centre commercial régional". C'est à dire une sorte de monstruosité de béton, ressemblant vaguement à un paquebot échoué au milieu d'un parking, et desservant j'imagine toute l'Ile-de-France. A mon avis c'est faux, et j'aurais trouvé plus perspicace une appellation comme "Centre commercial départemental" mais enfin, c'est pas mon problème.

Trônant à son extrémité nord, vautré sur trois étages, et exhalant dans un rayon de trente mètres les pires odeurs de bouffe et de poubelles qu'on puisse imaginer, il y a le roi Carrefour. Le supermarché le moins cher de l'univers, qu'en fait si, y'a quand même Leclerc qui est mieux, ou peut-être Auchan. Et le samedi après-midi, Carrefour c'est le QG du 9-3.

C'est la vision définitive de ce qu'a généré la logique de consommation de masse. Soit environ trois-cent mille personnes tassées dans d'étroits rayons, qui tâtent des légumes, se bousculent, gueulent sur leurs gosses qui braillent, six-cent mille mains dégueulasses qui se jettent sur les camemberts Reflets de France, qui arrachent des fringues de leurs cintres, les examinent sous tous les angles en moins de cinq secondes, les roulent en boule façon serpillière et les balancent dans un coin, et toi au milieu, grimaçant de dégoût mais bien obligé de faire avec.

Il faut slalomer entre les caddies, éviter les vieilles qui puent, les pouffes qui marchent à l'envers pour parler à leurs potes, il faut faire attention à ne pas mettre les pieds dans les flaques douteuses s'étalant quelques fois près du type qui vend des accras de morue dans sa guérite moisie, il faut composer avec les odeurs de bouffe, les odeurs de transpiration, l'aspect de la viande dans les barquettes en polystyrène. Il faut faire la queue à la caisse, avec ton panier rempli à ras-bord de trucs qui te donnent la nausée tellement le monde entier te répugne.

Et quand tu sors de là, étourdi comme une mouche qu'on aurait enfumée, et que tu vas t'asseoir sous l'abri-bus, il faut que tu jettes encore un oeil sur LA pub. La pub pour cette chaîne d'établissements dont tu te plais à dire que tu es un fan-boy, parce que ça choque tellement les gens que c'en est drôle, et parce que c'est vrai que tu aimes bien, en réalité. Assis là, sur ce banc déglingué, tu as le choix entre l'affiche de pub et les voitures qui sortent de l'autoroute, pas loin. Broum-brouuum. Carrefour, la qualité pour tous. Accras de morue, grosse mamma voilée qui pue la sueur. Piaillements de gamins déchaînés, emballages de jambon Herta par terre, fringues répandues sur le sol, bip-bip de la caisse enregistreuse. Et puis :

Hamburger, petite frite, fruits à croquer, glace : seulement 1€ chacun chez McDonald's.

Brulez en Enfer ! Arrière ! Où est la Nature ? Soudain je veux des légumes, je veux des fruits frais. Jésus-l'équitable, sauve-moi.

Et pourtant. Cette société-là, ce fonctionnement-là, c'est le seul qui puisse répondre aux besoins de la meute. Le monstre endormi sur son parking, allaitant les nuées d'insectes de la région. Et j'ai beau penser que je suis unique, j'ai beau ne voir le monde qu'à mon échelle, la réalité c'est que je ne suis qu'une part de la masse, et que j'y ai ma place, aussi bien que les ploucs en marcel et leur caddie débordant de packs de bière (je me demande toujours ce qu'ils en font, c'est pas possible de tout boire tout seul...) Je suis le consommateur anonyme qu'on gave de saloperies enrobées de papier brillant, pour que ça lui attire les yeux. Je suis le bouseux lobotomisé qui fait la queue au McDo du coin, attendant son sandwich au milieu de milliers d'autres sandwiches, j'obéis et je souris, parce que la vérité c'est que je crois que pour MOI c'est différent. Ca n'a rien de drôle.

Je me crois différent. Je crois que je ne suis pas la foule. Je crois que j'ai une identité à part. C'est sans doute faux.

Un jour, me disais-je sous mon abri-bus, un jour j'aurai une maison à la campagne et ça ira mieux. Fini tout ça. Un jour, j'aurai la vie que je souhaite. Un jour, j'aurai retrouvé l'illusion que je suis unique et important. J'aurai oublié l'angoisse de n'être qu'un élément inutile parmi un troupeau de veaux débiles. Alors je me laisserai sans doute aller au lyrisme, rassuré, je regarderai le ciel et je me dirai que je suis vraiment formidable.

Ne sachant pas que, dans une des pièces de ma maison fantastique, un réfrigérateur maintiendra toujours la température à 4° pour ne pas que mes Knacki Balls pourrissent trop vite.

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