vendredi 31 décembre 2010

3096 jours

J'ai été très impressionné par le livre de Natascha Kampusch sur sa captivité chez Wolfgang Priklopil. Impressionné surtout par l'incroyable force vitale qu'elle n'a jamais cessé de lui opposer, sa résistance mentale stupéfiante alors que son corps pliait sous les coups. Il a tenté de la briser pendant huit ans, alternant quotidiennement tortures physiques et psychiques, et elle n'a jamais rompu. N'importe qui n'aurait pas tenu.

Je suis ému de constater aussi qu'elle a pratiquement réinventé le stoïcisme pour survivre. Epictète lui-même aurait admiré. Peut-être inconsciemment, sans doute instinctivement, elle a décidé de ne pas se perdre dans la haine pour son ravisseur, de ne pas entretenir une colère qui l'aurait consumée, mais d'accepter ce qui se présentait à elle chaque jour, de rejeter les sévices hors d'elle et d'en faire de simples données qu'elle notait consciencieusement sur des feuilles de papier pour ne pas les oublier. Aujourd'hui il m'a frappé là, il a cogné ici trois fois et ne m'a pas donné à manger. Elle a accepté cette situation atroce et a vécu avec, elle a accepté son ravisseur comme seule présence sociale pendant trois mille jours, se retranchant seulement parfois dans une citadelle mentale où elle évoquait des souvenirs de famille agréables et savait que, contrairement à ce que lui affirmait Priklopil, ses parents l'aimaient. Il n'est jamais parvenu à lui faire mettre genou à terre, aussi fort qu'il ait pu frapper, aussi pervers qu'il ait été.

Après son suicide, elle a déclaré porter une sorte de deuil. Cette relation qu'elle avait noué avec lui, et qui lui a sauvé la vie, cette acceptation de son destin sans pour autant jamais cesser de résister, c'est grand comme l'humanité. Elle a vécu un enfer difficilement imaginable par quiconque et s'en est tirée par elle-même, petit à petit, détraquant lentement de minuscules rouages dans le plan de Priklopil, ne cédant jamais rien de son intégrité mentale, ne reniant jamais son identité et se battant comme une dingue pour continuer d'exister comme un être humain à part entière (elle a failli mourir sous les coups pour avoir refusé de s'agenouiller devant lui ou de l'appeler "Maître"), gagnant lentement du pouvoir sur lui, un très léger pouvoir, des victoires de rien du tout suivies de déchaînements de violence, mais persistant néanmoins, se parlant toute seule, s'exhortant, se donnant du courage par la voix de sa mère ou d'une version d'elle-même plus grande et plus forte. Beaucoup, beaucoup auraient craqué ou seraient devenus fous. Elle a failli s'effondrer plusieurs fois mais s'en est tirée toute seule, surmontant la faiblesse physique, surmontant la tentation du suicide, surmontant la terreur du monde extérieur que Priklopil lui avait inoculée. Et cela, à la force d'un esprit persécuté, à la force de toutes petites choses accumulées. J'aurais envie de la prendre dans mes bras.

Personne ne semble prendre conscience de la dimension qu'elle a acquise durant sa captivité, puis après son évasion et son exposition publique. Les gens parlent du syndrome de Stockholm, lui trouvent des airs suspects, ne comprennent pas. Porter le deuil du kidnappeur ? Ne pas se répandre en phrases de haine pure envers lui ? Pourquoi ne pas s'être enfuie plus tôt ? Est-ce qu'elle ne prenait pas goût à la soumission ? Qu'est-ce que c'est que cette fille qui ne répond à aucun des clichés des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent ?

Le respect devrait pousser à se taire, pourtant. La façon dont elle a vécu cette horreur et s'en est sortie dépasse sa propre personne pour toucher à l'essence de l'humanité, dans ce qu'elle a de grand et d'acharné. Et en même temps, je pense sincèrement que peu d'autres personnes auraient pu surmonter cela aussi bien, on ne peut donc pas l'en priver pour en faire une simple démonstration. Cela restera le témoignage de Natascha Kampusch, qui a tenu tête à son ravisseur pendant huit ans, avec plus de courage et de volonté qu'on ne pourra jamais l'imaginer. Ca devrait être aussi une source d'inspiration pour l'humanité, le récit d'une géante. Il faut s'en souvenir. C'est aussi important que ça.


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